(Publié le 29/10/2019 dans Le Point.fr)
Dans la région de Pô, à la frontière du Ghana, l’hivernage, plus intense qu’à l’accoutumée, a noyé des plantations et fait tomber des maisons.
81 % d’humidité. L’application météo annonce des précipitations en continu sur les deux prochains jours dans la région de Pô, au sud-est du Burkina Faso. Depuis le mois de juin, la zone connaît des pluies sans précédent. Alors que la saison humide aurait dû s’arrêter à la mi-septembre, elle continue de plus belle, entraînant des dégâts sur son passage. « Si les pluies continuent, ça va gâter nos cultures », s’inquiète Zacharia Anougabou, agriculteur de Tiébélé. Il a 33 ans, une petite fille de 2 ans, une boutique dans le centre-ville et des champs d’arachide, de maïs et de mil. Avant, il vivait du tourisme. Son cousin, guide touristique à Tiébélé, lui avait appris les rudiments du métier et l’emmenait sur les visites lorsqu’il recevait de grands groupes. C’était la belle époque, il y avait du boulot et de l’argent à la clé. Puis les attentats ont touché le Burkina et le tourisme a radicalement chuté. Alors, le jeune homme s’est reconverti sur le modèle familial : cultures et commerce.
Les routes sont devenues impraticables depuis le début de l’hivernage. Tous se plaignent de la pluie à Tiébélé. Il explique que, si ça continue comme ça, les plantations vont pourrir. Il faut dire que tout est inondé. Entre la boutique de Zacharia et l’auberge de Franck Anougabou, son cousin, il n’y a pas plus de 200 mètres. À pied, c’est devenu impossible à parcourir. De grandes flaques bloquent le passage. Alors, les scooters prennent de l’élan pour passer l’obstacle sans trop de casse et transportent les passagers à pied coincés d’un côté.
Le risque pour les plants d’arachides ? Qu’ils soient noyés. « D’habitude, à cette saison, on prie le ciel pour qu’il y ait deux ou trois averses, histoire de mouiller la terre pour ramasser les arachides plus facilement ! » s’exclame Zacharia. Plantées dans le sol, les arachides sont très difficiles à attraper quand celui-ci est trop sec. Là, elles baignent. Le réchauffement climatique décale tout le calendrier de plantations. « En général, on sème en juin, mais cette année la pluie a commencé trop tard. On a dû attendre juillet », souligne Franck. Dans les maquis de Tiébélé, à l’abri des précipitations, on ne parle que de l’eau, en buvant autre chose. Du dolo, plus précisément, un alcool local fabriqué à partir de sorgho rouge, une céréale très répandue au Burkina. Un genre de bière locale, avec peu de gaz et un arrière-goût vinaigré, très populaire dans le pays.
Le problème de cette humidité record ne réside pas que dans la cueillette, mais dans le séchage des plantations. Le sorgho a justement besoin de sécher, comme le maïs dont on utilise la farine pour le plat national, le thô. Une fois ramassées, les cultures sont disposées sur les toits plats des maisons pour sécher au soleil. Puis stockées dans les greniers à mil, petites maisons circulaires avec un toit en paille. Mais, « avec la pluie, rien ne va sécher. Et les greniers à mil s’effondrent », souligne Franck.
Les maisons de Tiébélé tombent les unes après les autres. À Tiébélé, les maisons traditionnelles sont fabriquées à base d’argile et de bouse de vache. Ça peut paraître fragile, mais cette technique de fabrication ancestrale a toujours bien résisté aux saisons. Sauf depuis quelques années. « Les maisons ont commencé à s’abîmer plus vite, à s’effriter et finalement à tomber », explique Franck, dont tout l’entourage vit dans ce type de cases. Dans sa « grande famille », comme il appelle le groupement de maisons où vivent sa mère et quelques cousins, des greniers éboulés ne sont plus qu’un monticule de terre au sol. Lui-même a construit son auberge sur le modèle traditionnel.
Cette nuit-là, l’auberge est pleine. Plusieurs cousins sont venus de la capitale pour un mariage. Il pleut depuis minuit et les cases prennent l’eau. Une fuite, deux fuites, trois fuites : les chambres sont rapidement inondées. À 4 heures du matin, plus personne ne dort. Alors que les coqs commencent leur concert, on attend patiemment l’aurore pour appeler les femmes à la rescousse. Il faut réparer les toits en espérant que la pluie laisse un peu de répit pour que ça sèche. L’électricité est en panne sur toute la ville… Une chance, finalement, car, au petit matin, toutes les prises ont pris l’eau elles aussi.
L’habitat traditionnel et les cultures sont inondés sous l’intensité de l’hivernage 2019. Franck et sa mère échangent en kasséna, elle a l’air contrariée. Il traduit : « La case des chèvres vient de tomber sur les animaux de ma mère, elles étaient enceintes. » Ils arriveront finalement à extraire les deux bêtes vivantes. « Cette année, huit maisons se sont effondrées chez nous, contre seulement une l’année dernière », raconte un cousin de Franck. Un jeune homme est à l’hôpital de Ouagadougou après s’être retrouvé enseveli par sa maison, deux jours plus tôt. Il a d’abord été transporté au dispensaire de Tiébélé. Faute d’équipements, il a été transféré à l’hôpital de Pô et finalement à la capitale. Il va mieux, mais il continue d’uriner du sang, ce qui inquiète les médecins.
Avec le réchauffement climatique, l’habitat traditionnel est menacé. Les chemins de terre qui relient Pô à Tiébélé, ainsi que tous les villages alentour, ne sont que gadoue. Ici, tout le monde se déplace à vélo ou à scooter. Celui de Franck a rendu l’âme trois fois en deux jours tant il est mis à rude épreuve par la qualité du sol. Sur la route de la mine d’or artisanale, elle aussi envahie par la boue, plusieurs villages affichent des maisons au style très différent de la cour royale de Tiébélé.
Des parpaings, de la tôle, du ciment : où sont passées les cases traditionnelles peintes à la main par les femmes du village ? Franck explique qu’avec les conditions climatiques de plus en plus compliquées au fil des ans l’habitat traditionnel se perd. Les gens préfèrent construire des maisons en dur, qu’ils n’auront pas à reprendre après chaque hivernage. Lui-même s’inquiète de savoir comment financer les travaux de réparation de son auberge pour la saison touristique qui commencera, si tout va bien, en novembre.
À Tiébélé, on parle de réchauffement climatique, on s’inquiète de l’avenir, on craint la prochaine saison des pluies. Mais, surtout, on prie Dieu pour qu’il arrête de pleuvoir. À côté de cela, des montagnes de déchets plastiques envahissent les rues de la ville. Et chacun continue de boire son eau potable dans une poche plastifiée, immédiatement jetée par terre après usage.